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Les dieux de la pensée
David Breese avait écrit en 1990 un livre sur les penseurs qui ont modelé notre temps moderne. J’en ai traduit ici la préface plus qu’intéressante sous le titre Les dieux de la pensée.
Il est
fascinant d’étudier les moyens par lesquels une personne est capable d’en
conduire beaucoup d’autres. Ce genre de contrôle s’explique toujours par
l’influence de la pensée. Tout dirigeant, peu importe ses armes ou sa richesse,
est obligé d’exercer son contrôle par d’autres moyens. Il doit conduire par la
persuasion, qui est l’arme ultime par laquelle on peut effectuer et maintenir
son influence sur une culture donnée. Le dirigeant vraiment puissant doit
influencer la pensée des gens.
Dans ce
but, il doit générer dans la pensée des autres quelque chose de bien plus forte
et contraignante que ce que nous avons l’habitude d’appeler une idée. Cette “chose”
qu’il doit générer dans la pensée des autres existe réellement sous la forme
d’une construction mentale. C’est une image qu’on implante dans la pensée
d’autrui qui a le pouvoir de devenir un objet de préoccupation, ensuite de
concentration et ensuite—oserons-nous le dire—d’adoration. Il faut produire
dans la pensée de ceux qu’on veut influencer un genre de petit dieu. Ce dieu de
la pensée est une “vraie chose”, implantée dans la mentalité de gens qui ne se
doutent de rien. Cette “vraie chose” peut ressembler extérieurement à Marx,
Lénine ou Freud, mais, en réalité, c’est une chose indépendante. Au-delà des
limites d’une personnalité ordinaire, elle prend les allures d’une divinité.
C’est peut-être la raison qu’une des interdictions les plus fermes de la Bible
se trouve dans l’ordre suivant : “Tu n’auras pas d’autres dieux devant
moi.”
Tu n’auras
pas d’autres dieux devant moi.
Lorsque le Dieu de l’univers dit ces paroles, il donna un commandement absolu
qui s’applique dans toutes les situations dans tous les temps et pour toutes
choses jusqu’à la fin des temps et au-delà.
L’obéissance
à ce commandement est la clé à tout. Aucun bienfait dans ce monde, ou dans tout
autre monde imaginable, n’est accessible en dehors d’une conformité active à
cette règle éternelle et inchangeable.
Inversement,
toute désobéissance à cet ordre de choses inflexible a pour résultat la perte
irrémédiable de tout—équilibre mental, sécurité, rationalité, santé, bonheur,
civilité, civilisation—pour la simple raison que la règle que Dieu a énoncée est
liée à l’ultime bien et à la raison d’être ultime de toute chose, elle est le
fondement de tout fondement et la mesure de toute mesure.
Dans l’histoire,
toute malchance dans la vie des hommes et des nations a pour origine
l’ignorance de ce commandement. Le degré du mal dans cette malchance est en
proportion direct au degré dont une action a dévié de ce commandement.
En fait,
dans un sens, ce commandement “Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi” n’est
pas vraiment un commandement, mais plutôt une déclaration dévastatrice dans sa
simplicité d’une réalité dure comme le diamant. C’est une chose totalement non
négociable, une réalité qui ne peut être ni altérée par l’éloquence, ni adoucie
par les larmes, ni affaiblie par la réflexion, ni érodée par le temps, ni
intimidée par la colère, ni défaite par les vagues successives d’attaques
effrénées par des légions d’esprits baveurs.
Ce
commandement est à tel point l’essence-même de l’existence qu’on peut s’étonner
qu’il soit possible de le mettre en question par un esprit doué de rationalité
ou par quelqu’un qui est en quête de la vie. Ce commandement est si essentiel
pour une vie rationnelle que la pensée ou l’action qui part dans un sens
différent devrait être vue par tous pour ce qu’elle est vraiment : une
démence perverse, un déséquilibre mental étrange.
Cependant,
hélas !, ce genre de folie existe, aujourd’hui comme de tout temps.
L’histoire est remplie de récits d’autres dieux. Des individus, des familles
entières, puis des nations entières, puis des civilisations entières ont
permis, respecté et finalement adoré des divinités païennes. Nous lisons les
histoires d’hommes et de femmes qui, par millions, ont adoré quelqu’un ou
quelque chose d’autre que le Dieu vivant et vrai. Nous apprenons que cette
adoration n’a pas été qu’une simple obédience de forme. Bien au contraire !
Elle a souvent pris la forme de sacrifices coûteux, semant la pauvreté, placés
sur les genoux de pierre d’idoles muettes. Pire, cette adoration a pris la
forme de sacrifices humains, d’infanticide, d’immolation et de suicide—et tout
cela pour des dieux de bois ou de pierre, incapables de parler. Des adorateurs
ont amené leurs petits enfants, leurs femmes effrayées et jusqu’à leurs nations
dans le chaudron du sacrifice à d’autres dieux.
Qui peut
connaître le nombre de vies humaines sacrifiées devant les images taillées du
temps sur les autels souillés de dieux qui ne sont pas et de démons qui, eux,
existent bel et bien ? Pourtant, génération après génération d’êtres
humains pitoyables ont disparu sans cri ni larme dans le séjour des morts,
espérant malgré tout de pouvoir ainsi apaiser cette pierre grossièrement taillée
à laquelle ils avaient attribué le nom de dieu. On a imaginé qu’on pouvait être
nourri de seins de pierre ou être engendré à la vie par une statue moisie. Nous
avons la tête qui tourne quand nous essayons de comprendre la folie du
paganisme.
Mais les
dieux de pierre ne sont pas tout. Le paganisme a pris tant de formes
d’expression. En Grèce, les religions à mystère et les Muses sont devenus des
objets d’adoration. Les statues des divinités pouvaient être moins nombreuses,
mais les dieux de la pensée étaient nombreux.
De ces
dieux de la pensée est né ce que nous appelons aujourd’hui la
philosophie—l’amour de la pensée, l’affection devant les idées et les concepts.
La philosophie, une poursuite respectable en soi, est devenue une sagesse pour
toute situation. Nous avons une philosophie de la vie, une philosophie du
futur, et même une philosophie de la religion.
Nous y ajoutons
aujourd’hui un pronom : “sa philosophie”. De nos jours, la philosophie
veut simplement dire un ensemble d’idées collectionnées à gauche et à droite et
forgées en une abstraction qu’on appelle un
point de vue. Ce point de vue est devenu sacrosaint, de sorte que la
philosophie de quelqu’un est révérée comme une chose à laquelle nous avons tous
“droit”. “Elle a droit à son point de vue,” entendons-nous. “Ce sont ses idées,
et tant que ça marche pour lui …” Et c’est là la fin
de toute discussion.
Les idées fondamentales
de la vie sont devenues tellement variées qu’on a conclu qu’il n’y a pas d’idée
définitive, de vérité absolue. C’est le problème de notre génération qui a
grandi avec l’idée de l’absence de toute finalité. “Qui peut dire qui a
raison ?” est la phrase qui termine pas mal de discussions sur le sujet.
Ce qui plus est, il n’est pas très difficile de montrer les dieux de notre
temps, tombés de leur piédestal, preuves éclatantes de l’instabilité et de la
non finalité des meilleures idées de ce monde. D’ailleurs, plusieurs idéologies
qui hier encore étaient estimées comme importantes passent pour être des
idioties aujourd’hui, au point que les gens sont gênés d’y avoir cru un jour. [1] La statue de Lénine,
suspendue par le cou comme s’il s’agissait d’une exécution avant de tomber à
terre dans un square à Budapest, exprime bien l’esprit de notre temps :
“Il n’y a pas d’absolu.”
Cependant,
hélas !, dire qu’il n’y a pas d’absolus est une autre manière de dire
qu’il n’y a pas de Dieu. Mais s’il n’y a pas d’absolus, comment est-ce possible
d’affirmer cela comme un absolu négatif ? Une telle déclaration est une
contradiction dans les termes. L’esprit démuni d’absolu réagit en étendant ses vrilles
comme une vigne dans un mur fissuré, cherchant un point solide où s’attacher.
Aujourd’hui, ces vrilles en quête s’étendent en beaucoup de directions.
Certains font même profession d’avoir trouvé cet ensemble de principes dans
lesquels on peut enfin avoir confiance.
Pour aider
notre pensée dans sa recherche des grands principes élémentaires, nous devons
nous rappeler une fois de plus l’interdiction divine : “Tu n’auras pas
d’autres dieux devant moi.” Voilà la règle, le principe absolument
prioritaire : Dieu et sa loi. Il ne doit donc pas y avoir d’autre
motivation centrale, d’autre but final, d’autre récompense à valoriser. Il n’y
a pas de place pour des destins multiples. Aucune créature humaine ou moins qu’humaine,
morte ou vivante, ne devrait nous tenir dans ses griffes. Pourtant, malgré de
nombreuses protestations, le monde de notre temps est exposé à, influencé par et
conduit par des philosophies qui ne sont qu’humaines. Notre génération est
tellement coulée dans le moule d’idées d’un autre siècle qu’on est forcé de
conclure que la pensée moderne est gouvernée par des hommes enterrés depuis
longtemps.
Des hommes
qui gouvernent le monde à partir de leurs tombes continuent à nous marquer de
leurs philosophies. Nous n’avons pas la présomption de les appeler “d’autres
dieux”, mais nous ne pouvons nous empêcher de noter que la révérence qu’on a
devant eux dépasse de loin ce que mérite un être humain. On les appelle “ceux
qui ont transformé le monde”, “des grands penseurs”, “des hommes aux concepts
sublimes”, “des hommes imprégnés du divin”, “des créateurs”, “les gardiens du
futur” et autres noms semblables. Certains sont allés au point de répudier tout
prédécesseur, en engendrant “une nouvelle école de la pensée” et même, “une
nouvelle humanité”. Parmi eux, il y en a sept qui ont ouvert le chemin d’une
nouvelle façon de penser qui a profondément influencé les générations
suivantes. [2] On peut les appeler les
pères d’un nouveau “Zeitgeist”, d’un nouvel esprit du temps. Ils se sont
glissés dans la pensée et même dans les imaginations (ce qui est parfois encore
plus important) de dizaines de millions de gens en recherche, tant dans leur
époque que dans les générations après eux.
On a
enseigné ces idées, et leurs transformations successives, dans nos écoles. On
les a promus dans les médias et prêchées dans nos églises, au point
qu’aujourd’hui, elles sont reçues sans hésitation ni réfutation. Elles sont
devenues axiomatiques, acceptées sans discussion. Ainsi, ces idées feront très
probablement partie des fondements de la pensée au millénaire suivant. Mais ce
nouveau millénaire n’enfantera pas davantage l’utopie promise par certains de
ces sept grands penseurs et impliquée par la plupart des autres. Le temps nous
dira quel sera l’avenir. Mais déjà, notre temps rappelle à la génération
présente qu’il ne lui faudrait pas se limiter pour son inspiration, sa
connaissance et sa direction par une simple rangée de pierres tombales. Il
faudrait chercher plus haut.
En nous
rappelant la persistance mortelle des dieux de la pensée, nous ferions bien de
faire attention à l’appel, pour ne pas dire au commandement que Dieu adresse au
monde. La Bible dit : “Dieu annonce maintenant à tous les hommes, en tous
lieux, qu’ils aient à se repentir.” [3] Le mot grec metanoia, souvent traduit par
repentance, signifie littéralement un changement d’esprit. Avant qu’une
personne ne puisse entrer dans la vraie réalité, il doit changer sur le plan de
son esprit, de sa pensée. Et ce commandement s’adresse à tout homme en tout
lieu.
Nous n’exagérons
rien en disant que Dieu exige que le monde dépose les dieux de la pensée et
reçoive le vrai Dieu, le Seigneur de gloire, dans une pensée purifié. Quand on
considère à quel point le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence de ceux
qui n’ont pas la foi, et les “empêche ainsi de voir briller la lumière de la
Bonne Nouvelle qui fait resplendir la gloire du Christ, lui qui est l’image de
Dieu” [4], on sent bien l’importance
de la pensée pour Dieu … et pour le diable. Satan œuvre en tout temps pour
empêcher que l’esprit de quelqu’un soit éclairé. Mais Dieu promet que nous
serons transformés par le renouvellement de notre pensée. [5] Dans l’esprit humain
réside cette grande capacité de s’ouvrir à la vérité de Dieu et de déposer et d’envoyer
en exil les faux dieux qui travaillent sans relâche pour semer la confusion
dans sa pensée.
Dave Breese, Préface du
livre Seven men who rule the world from
the grave, Chicago: Moody Press, 1990.
Voir aussi l’étude
suivante en Anglais qui est un résumé du livre :
http://www.giveshare.org/BibleStudy/133.7men.html
[2] Breese analyse la
pensée des sept hommes suivants “qui règnent sur le monde à partir de leur
tombe” :
Charles Darwin, qui a avancé et
codifié le principe que l’évolution est le secret derrière l’origine des
espèces.
Karl Marx, le concepteur et le
moteur de la philosophie du Communisme moderne.
Julius Wellhausen, l’initiateur de la
“haute critique” et du libéralisme théologique.
John Dewey, qui a développé un
système éducatif humaniste, centré sur l’expérience et au prix de toute vérité absolue.
Sigmund Freud, qui a avancé l’idée
que l’instinct sexuel est le moteur derrière toute action humaine.
John Maynard Keynes, l’avocat des mesures
pour réduire le chômage et pour développer l’économie qu’on retrouve
aujourd’hui derrière la politique des déficits budgétaires de nos
gouvernements.
Søren Kierkegaard, qui a souligné
l’obligation pour toute personne de faire des choix conscients et responsables
parmi les alternatives, un des principes majeurs de l’existentialisme.
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